Bizarre.

Publié le par Adj

Gare de Lyon, François, Gilbert et Jean-Christophe sont devant un plan du RER. Ils veulent se rendre à Chelles. Jacques leur donne un coup de main.

"C'est facile, vous prenez, la D jusque gare du nord, ensuite vous marchez jusque Magenta et là vous prenez la... euh... la ligne rose. Ou alors vous pouvez sortir, marcher jusque gare de l'Est et prendre un train de banlieue. Mais attention, là vous sortez, alors que Magenta, c'est des couloirs.
- C'est bon, on va y arriver. on n'est pas des bourricots quand même !"

Un sourire subréptice sur les lèvres de Maurice.

20h32, pas de problème de RER aujourd'hui. Maurice est de retour chez lui.

Il a pas mal de trucs à faire. A manger, pour ce soir et demain midi, du repassage, sa leçon d'espagnol et puis se coucher pas trop tard. Il est atomisé Maurice ces derniers temps.

Pour le repas, Maurice a pensé à des pâtes à l'encre de sèche avec sauce tomate aux oignons et au corned beef... et une grosse dose de piment. Un classique, toujours efficace.

L'eau chauffe, le CD est dans le lecteur, la chemise sur la planche à repasser.

Col.

Maurice il a acheté, sa planche chez Tati, pendant les soldes.

Manche.

Il y avait plein de gens qui se massaient là. Ca faisait longtemps que Maurice n'était pas passé dans un Tati. C'était peut être même la première fois.

"Tienes un transitor espanol.
- Tienes un transitor espanol."

Tiens, encore une expression utile.

L'autre manche

L'ambiance était différente... bizarre.

Ah. Bizarre. Le mot haï est revenu.

Dos.

Depuis plus d'une semaine, chaque jour, à l'improviste, il débarque. Maurice va s'acheter un sandwich, bizarre! Maurice relève la tête de son livre, bizarre! Maurice regarde les mots d'Eric et Ramzy, bizarre !

Alors Maurice il essaie de se concentrer sur son travail, il a allongé ses journées. Pour ne plus y penser.

"Deberias trabajar menos
- deberias trabajar menos"

Mais le soir, c'est encore pire.

Souvent, bizarre l'attend à la station de RER. Parfois, comme aujourd'hui, Maurice est déjà rentré lorsqu'il débarque.

Mais tous les jours c'est la même chose. Bizarre ! Une fois qu'il s'est incrusté, plus moyen de l'exorciser. Plus rien d'assez urgent dans lequel se replonger pour parvenir à l'ignorer.

Il est là. Et il obnubile Maurice.

Un T-Shirt.

Bizarre ! Maurice ça l'empêche de dormir, ça le réveille le matin, bizarre, et même la nuit. Une fois.

"Sabes? Ultimamente me canso mucho.
- Sabes? Ultimamente me canso mucho."

Bizarre, le mot avait comme implosé Maurice.

Depuis Maurice, il n'en reste qu'une fine couche, en surface, pour masquer un grand vide. Tout ça à cause de ce seul mot, bizarre.

"La vida en la ciuda es demasiado agitada.
- La vida en la ciuda es demasiado agitada."

La scène aurait dû être cocasse.

Maurice était derrière son écran, portable à portée de la main. Le message venait d'arriver.

Jérôme s'était approché.
"J'aurai un service à te demander"

Tout en regardant Jérôme, Maurice avait survolé la missive espérée.

"C'est à propos d'une création de compte." "(Re: une sortie) Ca va commencer à faire un peu bizarre, non ? Enfin je trouve." "Est-ce que tu pourrais m'en créér un avec les paramètres suivants..."

Maurice avait pali.

"euh... ben je vais le faire si t'as pas le temps."

A quelque chose malheur est bon, dit-on. Mais aurait-il eu le choix que Maurice eut créé le compte.

Chemise, col, manches.

Depuis, Maurice il l'a lu et relu ce message, jusqu'à qu'à le graver sur chacune des parcelles de sa boîte cranienne.

"quiero consultar con el medico.
- quiero consultar con el medico."

Depuis, Maurice il rejoue à faire semblant. Tout va bien. Et quand on lui demande, où il en est, il prend son regard le plus mystérieux et sourit. Un sourire vide de coeur.

Bizarre, le mot est abject !

Bizarre, et la félicité, à peine apperçue, à peine espérée, disparaît.

Bizarre, le monde se terne comme jamais.

Bizarre, la plaie est d'autant plus profonde que pour la première fois Maurice ne portait aucun masque.

Bizarre. La chute est rude car jamais Maurice n'avait été si certain, si sûr, du chemin qu'il souhaitait emprunter.

Bizarre, elle n'a eu besoin que d'un mot.

Publié dans Maurice

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N
Courage ADJ ! et beau texte
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O
C'est beau et triste.
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